Victor Castanet s’est fait connaître avec un livre à succès pour lequel il a remporté le prix Albert Londres en 2022 : Les Fossoyeurs. Pendant trois ans, le journaliste d’investigation indépendant avait enquêté sur la maltraitance dans les EHPAD. Avec son nouvel ouvrage Les Ogres, il s’est attaqué cette fois au scandale des crèches privées. Jeudi 28 novembre, il est venu au Médiacampus à Nantes à l’invitation de la librairie Durance, en partenariat avec le Club de la presse de Nantes Atlantique. Et s’est confié sur ses méthodes de travail.
Lorsqu’il se lance dans une enquête, Victor Castanet prend son temps et ne se contente pas de recueillir des témoignages accablants. Il cherche à comprendre les défaillances du système et à montrer les responsabilités des dirigeants.
Et comme il est indépendant, il prend plus de risques financiers, à la différence d’autres enquêteurs comme Fabrice Lhomme, Gérard Davet ou Fabrice Arfi, salariés au sein des rédactions du Monde et de Médiapart.
« J’ai écrit mon premier livre avec 10 000 euros d’à-valoir (des avances sur ses droits d’auteur), a chiffré le journaliste d’investigation lors de sa venue à Nantes. Pour le deuxième, j’avais de quoi tenir deux ans, car mon éditeur (ndlr : Flammarion) m’a fait confiance. »
L’indépendance a donc un prix, mais pour rien au monde, il ne voudrait rentrer dans une rédaction pour avoir plus de confort. Il préfère être libre de choisir ses sujets d’enquête, de maîtriser son agenda.
Résister aux pressions
Autres difficultés à surmonter : savoir déjouer les pièges des sources douteuses, réussir à contourner les verrouillages de la direction et contourner les pressions de toutes sortes. Victor Castanet s’est notamment étendu sur la confrontation avec Christophe Durieux, le fondateur des crèches privées People & Baby (au centre de l’enquête), un homme retors, qui a cherché à nier toutes les accusations et à retourner à son avantage la situation.
« Au début, l’entretien était cordial, rapporte le journaliste. Et puis il a cherché à me mettre mal à l’aise avec une autre enquête que j’avais réalisée. À la fin, je me suis presque mis à douter de mon travail, car il avait réussi à contester des évidences ! »
L’impact des enquêtes : l’exemple d’ORPEA
Pour dénoncer des scandales de cette ampleur, il faut, selon lui, être bien préparé, solide, persévérant et ne pas se laisser embarquer par ses émotions. La satisfaction qu’en retire Victor Castanet est d’avoir réussi à faire bouger les lignes.
« Quelques personnes qui ont eu le courage de parler ont réussi à faire tomber un groupe de sept milliards d’€, leader mondial des maisons de retraite, constate-t-il. Son directeur a été condamné à des peines de prison et depuis, bien des choses ont changé. Les actionnaires ne sont plus des fonds de pension, mais des mutuelles, et le modèle des superprofits générant de la maltraitance a été remplacé par celui des entreprises à mission. »
Seul regret pour ce journaliste sensible aux abus sur les personnes vulnérables, les politiques n’ont pas été jusqu’au bout : « Le système est sous surveillance, mais la gestion des EHPAD est déficitaire. »