Lundi 5 février au Médiacampus de Nantes, la journaliste d’investigation Ariane Lavrilleux est venue raconter ses ennuis judiciaires après ses révélations dans Disclose sur ce qui pourrait s’apparenter à un crime contre l’humanité : l’exécution d’une centaine de civils en Egypte.
Devant une quarantaine de personnes, elle a passé en revue toutes les dérives d’un Etat de droit qui cherche à faire taire les lanceurs d’alerte et les journalistes trop curieux. Elle a suggéré quelques pistes pour contrer ce climat de peur entretenu au plus haut niveau de l’Etat.
«J’ai été traitée comme une criminelle pour ne pas dire comme une terroriste », lâche Ariane Lavrilleux, une journaliste née à Nantes qui a travaillé pendant 6 ans à Europe 1 avant de s’installer en Egypte et d’écrire pour différents médias comme Le Point, RFI, Médiapart et Disclose.
39 heures de garde à vue dans les sous-sols du commissariat de Marseille, dans le froid, privée de médicaments et soumises à 5 interrogatoires en règle. 10 heures de perquisition à son domicile pour copier toutes les données de son ordinateur et de son téléphone portable. Et une mise en examen pour violation du secret défense qui peut lui tomber dessus à tout moment. Des méthodes destinées à l’intimider.
«Ils ont voulu me faire craquer », avoue la courageuse journaliste qui a su garder le silence face aux agents retors de la DGSI (la Direction Générale des Services de Renseignement).
Ariane Lavrilleux
Un recours pour détention abusive
« Dans un Etat de droit, jamais je n’aurais du être mise en garde à vue», estime-t-elle avant de préciser : «Les journalistes sont des personnes protégées comme les avocats». C’est pourquoi elle a déposé un recours pour détention abusive.
Ariane Lavrilleux est-elle mise sur écoute ? Fait-elle l’objet de filatures ? De géolocalisations ? Est-elle suivie par des logiciels espions ? Elle n’en a pas la moindre idée. Ce qui est sûr, c’est qu’elle est sous surveillance et qu’elle risque la prison si elle retourne en Egypte.
Un observatoire des atteintes à la liberté de la presse
Ses déboires ne l’empêchent pas de continuer à faire son métier. Bien au contraire. Pour elle, cette affaire a mis un coup de projecteur sur ces dérives. En novembre 2023, un collectif de journalistes a créé un Observatoire Français des Atteintes à la Liberté de la Presse (OFALP). Objectif : recenser de manière indépendante tout ce qui empêche les informations capitales d’émerger et restaurer la confiance avec les citoyens.
Depuis 2017, 17 journalistes ont été convoqués par la DGSI et les entraves au métier de journalistes se multiplient. Exemples : la loi Dati sur la protection des sources de 2010 qui fait une exception pour les affaires relevant d’un impératif prépondérant d’intérêt public ou encore la volonté du Président de la République, Emmanuel Macron d’utiliser des logiciels espions sans autorisation judiciaire avec l’appui européen de la Hongrie et de l’Italie, deux pays de plus en plus autoritaires.
Une mobilisation citoyenne, ça s’organise
Pour Ariane Lavrilleux, il est urgent de se mobiliser contre un Etat qui utilise, selon elle, des «moyens disproportionnés» pour «créer une paranoïa» et donner aux sources d’information «le sentiment d’une surveillance généralisée».
Pour elle, c’est aux journalistes et aux citoyens de se mettre en marche et d’organiser la riposte, chacun avec leurs armes.
« 46 000 journalistes, ça compte et 10 millions d’auditeurs et de lecteurs aussi »
Ariane Lavrilleux
Puis s’adressant à la salle, elle lance : «Vous êtes la petite graine qui peut lever ce mouvement.»
Désormais, Ariane Lavrilleux ne se sépare plus de son livre de chevet : Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit, et sans armes, le manuel d’un révolutionnaire non violent, Srdja Popovic , fondateur du mouvement Otpor.
Des États généraux de la presse à Nantes le 22 février
Pour sa part, le Club de la Presse de Nantes Atlantique n’est pas resté inactif. Le 22 septembre 2023, il a manifesté cours de 50 otages pour soutenir Ariane Lavrilleux et la liberté de la presse. Et ce n’est pas fini. Le 22 février 2024, au Médiacampus, il s’associera à Médiacités pour organiser les Etats Généraux de la Presse Indépendante. Parmi les 59 propositions formulées : la demande d’une immunité pour les journalistes d’investigation.
Quant au public, il a prouvé son attachement à la liberté de le presse en envoyant des milliers de messages de soutien à Disclose et en faisant des dons à la plateforme d’enquête en ligne et en accès libre dans le collimateur de l’Elysée.
Texte et photos : Thierry Bercault