Quand des juifs dirigeaient deux grands journaux locaux : Le Phare de la Loire et Le Populaire de Nantes

   La synagogue de Nantes vient de fêter ses 154 ans. A cette occasion, elle nous rappelle, à travers une exposition, le rôle moteur qu’ont joué certains juifs dans la presse nantaise. La famille Schwob a dirigé Le Phare de la Loire de 1876 à 1928 et Gaston Veil a dirigé Le Populaire de Nantes de 1909 à 1939. Petit rappel historique.

     Georges Schwob est né à Bâle en Suisse mais il est enterré à Nantes, au cimetière Miséricorde, dans le carré juif. Son père était rabbin. Il grandit à Rouen et fait ses études au Collège royal avec Gustave Flaubert. Puis à Paris, il fait la connaissance de Théophile Gautier, fréquente Baudelaire et Nerval. Il se marie à Strasbourg et part vivre en Egypte comme chef de cabinet du Ministre des Affaires Etrangères.

    A son retour en France, il s’installe à Tours, fonde avec son ami Armand Rivière Le Républicain d’Indre-et-Loire et se fait élire conseiller municipal.

Le Phare de Loire, ancêtre de Presse-Océan

    En 1876, George Schwob s’installe à Nantes cours Cambronne et rachète le journal républicain Le Phare de la Loire, situé rue Scribe, qui deviendra à la Libération La Résistance de l’Ouest puis Presse-Océan.

En 1879, il lance une édition plus populaire et bon marché, Le Petit Phare (5 centimes au lieu de 20 centimes) et un quotidien rural, Le Gars breton, qui deviendra en 1912 La Semaine.

Avec lui, Le Phare de la Loire affiche ses idées patriotiques. Il défend la politique de colonisation de Jules Ferry et contribue en 1892  à la défaite du maire royaliste de Nantes Ernest Guibourd de Luzinais.

Marcel Schwob prend la suite de son père Georges

Marcel Schwob a défendu politiquement des idées radicales.

    A sa mort, en 1892, son second fils Marcel, né à Nantes,  lui succède. Polytechnicien, de la même promotion qu’Alfred Dreyfus,  il va tarder à prendre la défense de celui qu’on accuse, à tort, de haute trahison. Ce n’est que lors du procès de révision à Rennes qui reconnaîtra au capitaine des circonstances atténuantes qu’il deviendra moins anti-dreyfusard.

     En 1898, lors des manifestations nationalistes, comme son père à son époque, il fait l’objet d’une campagne antisémite notamment de la part du journal monarchiste L’Espérance du Peuple.  

En 1901, Le Phare de la Loire déménage Place du Commerce. Sa pagination augmente et, en 1914, il contribue à la propagande guerrière anti-allemande. En 1928, à la mort de Marcel Schwob, le journal est vendu à Francis Portais.

    Politiquement, Marcel Schwob défend les idées radicales. Il n’est pas socialiste mais est sensible à la question sociale ce qui l’amène en 1907 à prendre le parti des pêcheurs du lac de Grandlieu contre le marquis de Juigné.

    Les Schwob sont très liés à la famille Cahun, une famille d’intellectuels juifs alsaciens.

Gaston Veil et Le Populaire de Nantes

Autre grande figure juive : Gaston Veil, né en 1868. En 1896, il est professeur de lettre agrégé au lycée de Nantes, l’actuel lycée Clémenceau. En 1896, il est élu conseiller municipal à Nantes. En 1908, il devient premier adjoint et en 1928, il est élu maire de Nantes par intérim, après la démission de Paul Bellamy. En 1930, il préside la Ligue des Droits de l’Homme.

    Gaston Veil est également un homme de presse influent. En 1909, il devient directeur du Populaire de Nantes, un journal radical qu’il dirige jusqu’à sa reprise en 1939 par Le Phare de l’Ouest. Comme directeur de la rédaction du Populaire, il  soutient le Front Populaire, prend position pour les républicains espagnols, combat l’esprit de Munich et prend fait et cause contre l’exclusion de Pierre Brossolette à la radio.

Fidèle soutien au radical André Morice

A la Libération, il redonne vie à ce quotidien en fondant avec son ami André Morice, futur maire de Nantes,  Le Populaire de l’Ouest qui devient ensuite L’Eclair. Il soutient notamment André Morice lorsque ses adversaires lui reprochent sa collaboration avec l’ennemi pour avoir maintenu son entreprise de travaux publics pendant l’occupation allemande.

      Comme de nombreux juifs, Gaston Veil  subit la politique de Vichy. En 1942, il doit porter l’étoile jaune et il est destitué de son poste d’administrateur au lycée Clémenceau. Il fuit les bombardements en 1943, vit dans la clandestinité, se cache à Mortagne-sur-Sèvre, est arrêté en 1944, envoyé au camp de transit de Poitiers et finalement libéré en 1945.

Texte : Thierry Bercault