Lundi 8 avril à Nantes, le grand photographe Reza est venu lancer des rencontres autour de l’Iran en révolutions à Cosmopolis. A l’appui des photos qu’il a prises en 1979, lors de la chute du Shah, il a expliqué le rôle primordial des reporters photographes pour éveiller les consciences et lutter contre toutes les formes de dictature.
Le poids des photos et de leur sens subversif, Reza les a compris très tôt à 19 ans lorsqu’il était encore étudiant en architecture à Téhéran. Voulant dénoncer les mensonges du régime, il avait collé sur les murs de l’Université des photos d’iraniens vivant dans la misère au sud de la capitale iranienne. Objectif pour lui : montrer le décalage entre les promesses d’une vie meilleure à l’occidentale et la réalité.
Résultat : A 22 ans, il s’est fait arrêter par la Savak, la police du Shah. Il a été torturé pendant 5 mois puis jeté en prison pendant 3 ans. Ses accusateurs avaient imaginé qu’il appartenait à une organisation terroriste soutenue par des pays étrangers voulant renverser la dictature. Mais ses bourreaux ont du admettre que Reza avait agi seul, simplement poussé par le désir de vérité.
“Un appareil photo c’est comme un revolver“
“A cette époque, se promener à Téhéran avec un appareil photo, c’était comme avoir un revolver dans la main” .
Reza
Cet épisode douloureux a en tout cas été déterminant pour la suite de sa carrière. Il a fait de sa vie un combat. Ses photos sont devenues un acte de résistance à la guerre, à la violence, à l’oppression.
“J’ai eu la chance de travailler pour Sipa, Sigma, Magnum” reconnait Reza. “A l’époque, ces trois agences photos, toutes françaises, étaient leader mondiales. Mes clichés étaient relayés dans le monde entier. Ils avaient de l’impact”.
Avec son oeil aiguisé, Reza est allé sur tous les fronts : Afghanistan, Syrie, Rwanda et bien sûr en Iran où il a été un témoin privilégié de l’arrivée des fondamentalistes au pouvoir. 45 ans après, ses photos sont toujours aussi saisissantes comme celles de ces femmes iraniennes qui venaient manifester devant les grilles de l’ambassade américaine à Téhéran.
Les marionnettes du pouvoir
Etats-Unis à Téhéran. © Thierry Bercault
“J’ai voulu montrer qu’elles étaient des marionnettes du régime des mollahs. C’est pour ça que je les ai captées en tchador, devant une affiche de marionnettistes.”
Autre photo : celle du vieux Khomeini, seul assis sur un lit avec le regard noir. “Cet homme avait un coeur de pierre” indique Reza. “Je m’en étais rendu compte lors de son retour en avion. Un journaliste français lui avait demandé : Que ressentez-vous à l’idée de revenir en ran après 15 ans d’exil? Il avait répondu rien. Je me suis dit : cela ne présage rien de bon. La suite m’a donné raison”.
Savoir anticiper les évènements, les comprendre, les analyser. Reza a ce talent pour avoir une longueur d’avance sur les autres reporters. Être là au bon moment et savoir prendre des risques, c’est ce qui lui a permis de se distinguer.
Le témoin de l’histoire
“J’étais le seul à avoir ces photos de la foule manifestant devant l’ambassade américaine. J’avais compris qu’il allait se passer quelque chose à cet endroit. Les dirigeants n’arrêtaient pas de répéter que l’ambassade était un nid d’espions”.
C’est à ce moment là qu’il a pris cette photo d’une foule en colère. “C’était des iraniens manipulés par des agents du renseignement. J’ai montré le chaos organisé. La main au premier plan, c’est celle qui raconte l’histoire”.
Reza, décidément trop dangereux pour des autocrates religieux, a finalement été expulsé d’Iran le 25 mars 1981. Il est venu s’installer en France où il s’est marié et a fondé une famille. Mais il a poursuivi son oeuvre ailleurs. A ce jour, il a engrangé 2 millions dans ses archives personnelles.
Les ateliers Reza
L’ homme a aussi essaimé. En 2014, il a créé une école pour éduquer les jeunes des pays en conflit à devenir eux- même des reporters de guerre : les ateliers de Reza. Il leur apprend le pouvoir de l’image. Il les forme pour qu’ils deviennent des témoins actifs et qu’ils contribuent au changement chez eux, dans les camps de réfugiés au Kurdistan en Irak mais aussi à Buenos Aires en Argentine, à Santa Fé aux Etats-Unis et en France à Toulouse, Bastia, dans les banlieues.
“Les yeux sont les fenêtres de l’âme”, disait le poète Georges Rodenbach. “Mais pour ouvrir les fenêtres, ajoute Reza, il faut savoir gagner la confiance des gens. Lorsque je vais sur le terrain, ils sentent que je viens pour raconter leur histoire et pas pour gagner des prix de la meilleure photo”.
A 72 ans, cet homme au parcours incroyable, humaniste et optimiste invétéré, mondialement reconnu et simple d’abord, n’a pas fini de nous étonner et de nous donner des leçons.
Thierry Bercault