A l’occasion de la sortie du livre “Ce que nos filles ont à nous dire” (Editions La Mer Salée) ce jeudi 20 octobre 2022, le Club de la Presse Nantes Atlantique s’est entretenu avec son auteure Florence Pagneux, membre fidèle de l’association. Voici ce qu’il en ressort.
Au départ de ce livre ? Une enquête sociologique menée sur 814 jeunes filles de 13 à 20 ans menée par Alexandra Benahmou avec l’aide de deux sociologues, Anaïs Le Thellec et Clara Vince, entre le 1er décembre 2020 et le 21 mai 2021. Florence Pagneux, journaliste à La Croix (1), a ensuite enrichi les résultats de ce questionnaire avec son œil d’experte.
“Ces jeunes filles sont beaucoup plus éclairées que leurs ainées sur les égalités homme/femme ou sur le féminisme et, en même temps, elles sont tout autant victimes du harcèlement, de féminicides, de violences sexistes et d’auto-censures dans leurs projets professionnels“, observe Florence Pagneux. Autrement dit : 5 ans après la naissance du mouvement Me too, la parole s’est libérée mais la bascule dans la société ne s’est pas réalisée dans les actes.
Son travail a nécessité 6 mois d’enquête, pour aller chercher d’autres témoignages de jeunes filles, suivre une séance d’éducation à la sexualité dans un lycée, se rendre dans un service du CHU qui accueille des patientes anorexiques ou encore pour aller à la rencontre d’une troupe de cirque à Saint-Brévin-les-Pins qui prépare un spectacle féministe.
Se sentir femme
Le livre est préfacé par Maïwen Petton, une jeune fille de 18 ans, et se décompose en huit chapitres qui commencent systématiquement par une réflexion de jeunes.
Le premier chapitre s’intéresse à la question du genre et de l’identité. Il donne la parole à deux jeunes femmes devenues garçons rencontrées via l’association Nosig et montre que beaucoup de jeunes filles ne sont pas à l’aise avec leur orientation sexuelle et se réfugient dans l’entre deux. Pour elles, ce n’est pas le corps qui les définit comme femmes mais plutôt leur ressenti.
Dans le deuxième chapitre, l’auteure aborde ensuite la question de l’égalité homme/femme et s’appuie sur un rapport de l’Assemblée Nationale très documenté. Il en ressort que les garçons construisent leur virilité sur les sanctions à l’école alors que les filles sont plus studieuses. “Des comportements encouragés par l’institution sans le vouloir“, précise Florence Pagneux.
Toutes racontent que le soir, dans la rue, elles ont peur d’être une proie. Je pensais que ce phénomène était surtout localisé dans les grandes villes. En fait, je me suis aperçue qu’il était présent aussi en milieu rural.
Florence Pagneux, auteure du livre “Ce que nos filles ont à nous dire”.
La peur d’être jugée
Le troisième chapitre fait quant à lui le constat que le féminisme s’est démocratisé grâce aux réseaux sociaux et que les notions de patriarcat et de masculinité toxique sont bien ancrées dans la tête des jeunes filles de moins de 20 ans.
Plus surprenant, le quatrième chapitre qui étudie le corps fait apparaître que 84% des filles ne s’habillent pas comme elles veulent, par peur du jugement d’autrui à l’extérieur. Elles sont en permanence le jeu de la critique, du regard, de l’attention. “Dès qu’elle mettent une jupe trop courte, elles ont peur de se faire alpaguer“, explique Florence Pagneux. “Si elles portent au contraire des vêtements trop larges, on les traite de garçon manqué.”
Bref, pour certains sociologues, les filles deviennent des objets. On veut les garder à la maison, les protéger pour ne pas qu’elles s’aventurent. Et les garçons deviennent sujets. On les encourage à sortir, à faire plein d’expériences.
Les violences conjugales dès les premiers amours
Le cinquième chapitre montre que l’éducation sexuelle se fait davantage sur internet qu’en cours à l’école ou dans le milieu familial mais c’est sur le sujet du harcèlement sexuel que Florence Pagneux a le plus été étonnée, voir choquée. “Toutes racontent que le soir, dans la rue, elles ont peur d’être une proie. Je pensais que ce phénomène était surtout localisé dans les grandes villes. En fait, je me suis aperçue qu’il était présent aussi en milieu rural. Les filles stressent lorsqu’une voiture ralentit à leur côté.” Un sujet qu’elle aborde dans le sixième chapitre.
Ici l’on découvre que les violences conjugales démarrent très jeunes dans les couples qui vivent leurs premiers amours. En témoigne cette étudiante qui a vécu une relation toxique entre 16 et 18 ans et a mis longtemps à s’en rendre compte, avant de poursuivre son agresseur devant la justice. Une plainte classée sans suite.
De son côté, Diariata N’Diaye, fondatrice de Résonantes raconte que, chaque fois qu’elle intervient dans une classe, deux à trois jeunes filles viennent la voir en lui disant qu’elles ont été victimes de violences conjugales. Des garçons lui rapportent aussi qu’ils ont mal agi.
Sortie en librairie le 20 octobre
Enfin, le dernier chapitre aborde le poids de l’auto-censure chez les femmes qui ne s’orientent pas vers des études scientifiques ou ont des difficultés à prendre la parole en public.
Au final, ce livre qui complète l’enquête initiale intitulée “Aux filles du temps” permet de mieux cerner la situation. Il sortira le 20 octobre à la Librairie L’Utopie à Paris.
De son côté, Florence Pagneux est sollicitée de toute part. Elle a notamment participé à l’émission de France Inter “Le téléphone sonne” le 4 octobre dernier et sera présente aux Assises nationales de lutte contre les violences sexistes qui se tiendront à Nantes le 26 novembre.
Thierry Bercault
(1) Florence Pagneux a commencé sa carrière dans une agence de presse spécialisée en éducation. Aujourd’hui, elle collabore avec La Croix et les magazines J’aime Lire et Okapi.